Article sur les récits de vie
Extraits de l’article : histoire de vie site http://fr.wikipedia.org
Récits de vie, histoires de vie, approche biographique, ces notions se réfèrent à des démarches mises en œuvre par les chercheurs en sciences humaines. Les ethnologues sont parmi les premiers à y avoir recours et ils font connaître leurs travaux au grand public grâce à certains récits devenus célèbres. On peut citer notamment :
– Soleil hopi : l’autobiographie d’un Indien hopi de Don C. Talayesva
– Les Enfants de Sanchez de l’anthropologue Oscar Lewis
– Le Cheval d’orgueil : mémoires d’un Breton du pays bigouden de Pierre Jakez Hélias
– Mémoires d’un paysan bas-breton de Jean-Marie Déguignet
Ces divers travaux utilisent le récit de vie comme méthode privilégiée de description des conditions d’existence de femmes et d’hommes dans une culture spécifique à un moment donné de leur histoire. Ces récits, qu’ils soient provoqués par le chercheur, comme les deux premiers ou bien qu’ils soient auto-biographiques comme pour le Cheval d’orgueil recèlent une très forte valeur heuristique à la fois par leur authenticité et par la complexité qu’ils donnent à voir.
Ce qui, dans le passé, caractérise le fait d’écrire ses « mémoires » est l’appartenance à une élite, politique ou intellectuelle. La participation à des faits historiques marquants légitime l’auteur qui d’une certaine manière est perçu comme faisant œuvre d’utilité publique en donnant à voir de l’intérieur l’histoire de grands événements ou bien en livrant son regard sur tels « grands personnages ». Mais l’œuvre de Montaigne et plus tard celle de Rousseau considérées comme fondatrices de la modernité, ouvrent la voie pour ce qui va devenir au vingtième siècle un exercice qui se démocratise. La parole sur soi et par extension l’écriture sur soi fonde et actualise un sujet qui se veut libre. « Que vais je faire de ce que l’on a fait de moi ? »
Le récit qu’un sujet se fait de son histoire est pris dans d’autres grands et petits récits de collectifs, de familles, de groupes d’appartenance divers. Il est pris dans une culture donnée et les contraintes du langage manquent toujours à rendre compte pleinement de la complexité et de l’énergie foisonnante de la vie. Aucune vie ne peut se dire pleinement. Aucun récit de vie ne peut prétendre épuiser la vérité d’un sujet. C’est bien ce qui doit nous rendre humble et prudent par rapport à ces pratiques. Le respect et l’écoute des silences vaut parfois bien plus qu’un récit qui verserait du côté de l’aveu et qu’on aurait pu par les divers jeux des places sociales, extorquer à son auteur.
Bibliographie
Faire de sa vie une histoire, Théories et pratiques de l’histoire de vie en formation, Alex Lainé
Extrait:
DÉMARCHE DE FORMATION AU RÉCIT DE VIE
Inutile d’entrer dans la complexité de distinctions fines opérées par ailleurs (1) entre récit et histoire de vie – on parlera ici indifféremment de l’un ou de l’autre, l’essentiel tient en un constat et une question.
Le constat, c’est que les histoires de vie, qui à l’origine ne sont certainement pas des pratiques de formation mais des démarches de recherche en sociologie(2), sont aujourd’hui bel et bien mises en œuvre, et de plus en plus souvent, comme processus de formation d’adultes. On ne saurait alors éviter la question suivante : quelle est la valeur de formation de la démarche par laquelle un sujet énonce, oralement et/ou par écrit, le plus souvent dans une situation de groupe, ce qu’il tient comme constitutif de sa vie ?
L’objet de ce propos est d’apporter, à travers huit arguments complémentaires, un certain nombre d’éléments de réponse à cette question, en insistant sur la problématique du rapport que l’apprenant entretient au savoir. C’est en effet cette problématique que travaille tout particulièrement l’histoire de vie en formation.
Mais avant tout il faut préciser ce que l’on entend par » histoire de vie en formation « . Je reprendrais volontiers ici la définition que j’avais déjà proposée par ailleurs(3) : » Dès que des individus, réunis dans un contexte de formation, s’emploient, sur les bases du volontariat et d’un questionnement personnel en rapport avec leur expérience et leur désir d’apprendre, à explorer les événements constitutifs de leur parcours pour ensuite en faire le récit écrit (autobiographie) ou oral (auto-bio-oralisation) et s’efforcer de répondre à leur questionnement initial avec l’aide éventuelle du groupe de pairs, il y a alors histoire de vie en formation. «
1/ Du rapport au savoir au rapport au pouvoir. Les récits et histoires de vie ne constituent certainement pas des démarches académiques, scolaires, traditionnelles d’apprentissage. Ils ne sont pas pour autant dépourvus d’intérêt du point de vue de la formation. Mais ils obligent à considérer et à pratiquer la formation de manière différente. Et surtout de manière non transmissive. Car celui qui » sait » ce dont il est question dans le récit de vie, ce n’est plus le formateur ou l’enseignant, c’est l’apprenant. Les récits de vie conduisent à inverser, au moins à modifier, les rapports au savoir et au pouvoir dans le processus de formation.
2/ La vie est source de formation. On n’apprend pas qu’à l’école, on n’apprend pas non plus uniquement dans les livres. La vie, l’expérience vécue, y compris la plus banale en apparence, peut se révéler à l’origine d’acquisitions de savoirs, savoir-faire et compétences multiples. S’ouvre ici tout le champ des apprentissages dits » expérientiels « , non académiques, non sanctionnés par des diplômes et qui pourtant sont loin d’être quantitativement et qualitativement négligeables.
3/ Savoirs de vie, savoirs insus. A la fois parce que ces savoirs d’expérience et d’action ne sont pas l’objet d’une reconnaissance officielle – ou » bancaire » selon la belle formule de Paolo Freire -, et parce que leur efficacité pratique se suffit à elle-même, celui qui en est détenteur ne les reconnaît pas toujours. Parfois il les ignore entièrement. On rencontre ici le champ insoupçonné des » savoirs insus » (4) (Jean-Louis Le Grand) Je pense, par exemple, à une personne qui, ayant appris le portugais au cours d’un séjour de cinq années au Brésil, et bien qu’elle le parlât couramment, ne le mentionnait pas dans son curriculum vitæ au motif qu’elle n’avait aucun diplôme correspondant.
4/ L’histoire de vie comme transformation du rapport que le sujet apprenant entretient » au processus d’apprendre » (5) (Bernard Charlot) Précisément parce que ces savoirs de vie sont largement ignorés et minorés, l’un des intérêts de l’histoire de vie en formation est d’aller y regarder de plus près. Enoncer les étapes de sa vie, y repérer les savoirs, les savoir-faire et les compétences diverses – sans écarter les compétences relationnelles et sociales – qu’on y a acquis et mis en œuvre, identifier ces acquisitions qu’on ne soupçonnait pas, c’est fondamentalement transformer son rapport au savoir. C’est en effet découvrir en premier lieu que le savoir n’est pas un objet sacré, extérieur à soi et inaccessible parce que situé dans l’Olympe de la culture savante. C’est en même temps se révéler à ses propres yeux comme un apprenant potentiel puisque l’on a déjà été en mesure, par le passé, d’apprendre effectivement. On trouve la des raisons de se faire davantage confiance quant à sa capacité à se former.
5/ La mise au jour des facteurs personnels d’inhibition et de stimulation dans le rapport au savoir.
A cela il faut bien ajouter que le récit de vie pratiqué dans une perspective de formation, surtout lorsqu’il s’attache au recensement et à l’analyse des moments formateurs dans la vie de son auteur, manque rarement de révéler ce qui chez lui a fait obstacle à l’apprentissage et, a contrario, ce qui a joué comme facteur de motivation à la formation. De ce point de vue, il n’est pas rare de rencontrer des adultes qui, en formation initiale ont connu quelques déboires avec l’école, entre autres raisons parce que l’apprentissage y était vécu comme une obligation totalement externe, sans qu’ils y soient le moins du monde investis, sans qu’il y éprouvent le moindre plaisir. Cette mise au jour, quand elle a lieu, n’est pas rien. Car une chose est de penser ses échecs comme relevant d’une incapacité foncière, autre chose est de les rapporter à l’ennui d’un objet non désiré. Surtout si, par surcroît, on peut repérer d’autres situations d’apprentissages – assez souvent des situations de formation moins officielles, des situations de vie – qui, elles, ont a contrario donné lieu à la fois à investissement et à acquisition de la part du sujet.
moment où ils étaient en échec sur les plans scolaire et professionnel. Cette théorie relativement abstraite, qui tient que le don oblige et soumet le donataire au donateur, surtout lorsque le premier ne peut rendre » la pareille » au second – n’a fait l’objet d’aucune difficulté de compréhension.(1)
7/ L’apprenant comme sujet.
Ce qui précède est soutenu
6/ La question du sens du savoir.
Doit-on conclure de ce qui précède que le savoir théorique, savant, académique soit irrémédiablement voué à l’ennui, au désinvestissement et, en tant que tel, bon à jeter aux poubelles de la formation ?
Sûrement pas. Précisément lorsque ce savoir vient enrichir, éclairer, approfondir des moments du parcours de l’apprenant qui jusque là lui paraissaient relativement obscurs, il devient assimilable et assimilé parce qu’il prend alors sens, c’est-à-dire signification, valeur, intérêt à ses propres yeux. Cette question du sens de ce qui est objet d’apprentissage s’inscrit pleinement dans la problématique du rapport au savoir et vient compléter ce qui précède.
Afin d’illustrer ce propos, je me souviens avoir exposé la théorie du don de Marcel Mauss (6) à des travailleurs sociaux au terme de leur implication dans une démarche histoire de vie où il était apparu que nombre d’entre eux se sentaient » en dette » vis à vis d’un employeur qui était venu les chercher pour leur proposer un emploi auÂ
par l’idée que l’apprenant n’est ni un seau vide qu’il importe de remplir à l’aide de savoirs qui lui sont extérieurs, ni une machine à produire des performances cognitives. Le sujet apprenant est plein à la fois d’une histoire et d’une densité existentielle qui ne comptent pas pour rien dans ce qu’il veut et ne veut pas savoir autant que dans ce qu’il peut et ne peut pas apprendre.
Autrement dit, l’apprenant est tenu à la fois comme :
– ensemble de capacités cognitives et de savoirs, de savoir-faire acquis,
– aspirations, désirs, affectivité, traces laissées par les expériences vécues dans le passé, imaginaires, estime et reconnaissance de soi,
– » être au monde « , inscription dans un contexte social et historique, appartenance à une tradition familiale et à une culture avec ses valeurs, croyances et héritages économiques et symboliques.
8/ La question méthodologique et déontologique du contrat.
Enfin, et cela renvoie à une autre dimension de la place de sujet occupé par chaque participant, ce type de démarche ne saurait être que le fait volontaire d’une personne autonome. Plus généralement et compte tenu de son caractère impliquant, elle requiert – davantage que toute autre pratique de formation – un cadre déontologique et méthodologique, incluant les objectifs de formation et préalablement négocié avec des participants qui, ainsi, se situent d’emblée comme des sujets instituants.
Alex Lainé
Responsable de formation et de recherche
Ministère Jeunesse et Sports
L’Histoire en héritage, roman familial et trajectoire sociale, Vincent de Gaulejac
Les histoires de vie, 4e édition, Paris, PUF, 2007, Gaston Pineau et Jean-Louis Le Grand, Que Sais-je ?
Magazine Sciences humaines Mensuel n° 102 – Février 2000
Les récits de vie.
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