Chroniques des aventuriers de Machecoul
Biographie de Jeanine et Georges
accompagnés de Valérie Jean Biographe
Quatrième de couverture
Les chemins de vie de Georges et Jeanine les ont conduits à s’exiler de nombreuses années loin de leur pays . Lui, Officier Mécanicien au long cours dans la marine marchande a parcouru les mers et les océans,devant quitter son foyer de nombreux mois. Elle, après être née au Gabon et vivant ses premières années dans la brousse, elle revient en France et devient coiffeuse. Cependant , elle fera souvent le choix de suivre son mari quand cela lui était possible, accompagnée de ses deux filles Hélène et Véronique…ou d’attendre Georges dans la maison familiale de Machecoul. Avec humour et légèreté, ce couple attachantl nous raconte les péripéties d’une vie riche et peu banale.
Extraits du livre « les chroniques des aventuriers de Machecoul »
Le métier de piqueur
Mon grand-père François avait donc commencé sa carrière comme piqueur, noble métier de la vénerie. Pour pratiquer la chasse à courre, le piqueur doit suivre la proie, à pied ou à cheval et régler la course des chiens. Et sans nul doute si le nouveau siècle avait fait perdurer la prospérité et le faste du domaine de Fonteclose, François serait resté piqueur, à soigner chevaux et chiens, un métier de passion, une plus grande partie de sa vie.
Quand François est remarqué par le marquis Baudry d’Asson, il y avait en 1888 au chenil de Fonteclose deux meutes de chiens : l’une de 35 vendéens purs à poil ras descendant des Blancs du Roi, l’autre de 18 griffons blanc et orange. Il fallait donc du cœur à l’ouvrage pour s’occuper de ces chiens et des chevaux.
Il est dit qu’un bon piqueur est précieux, qu’il doit commencer le métier de bonne heure et s’il n’a pas appris à côté de son père, il doit avoir arpenté les bois de son enfance… il doit être robuste, car ce métier requiert une grande résistance.
François rejoindra le régiment de chasseurs à cheval à Saint-Germain-en-Laye pour effectuer son service militaire et parfaire sa formation. À son retour, il reprendra son métier de piqueur jusqu’à la reprise de la meute quand le chenil sera déménagé à Saint Christophe du Ligneron.
Une page s’est tournée et François doit s’orienter vers une autre profession. Mais n’ayant pas fréquenté l’école assez longtemps, il n’avait pas appris d’autre métier.
Sage-femme dans le marais
Ma grand-mère, Fréderine était sage-femme. Elle était déjà à la retraite à ma naissance, mais elle tenait à accoucher sa fille. Elle avait beaucoup d’expérience. Elle parcourait le marais avec son cheval, de jour comme de nuit pour aller aider les parturientes… Ma grand-mère prenait souvent les bébés chez elle, le temps que la mère reprenne des forces, pendant quelques jours jusqu’à une semaine.
Un jour funeste, elle a eu un accident. Les barrières du passage à niveau de Bois de Céné n’étaient pas fermées alors qu’un train est arrivé. Le cheval a été tué et la carriole sous le choc a basculé sur le côté. Ma grand-mère blessée sérieusement à la jambe est restée handicapée à vie ; le nouveau-né qu’elle ramenait chez sa mère a été éjecté et retrouvé dans un bosquet d’épines sain et sauf.
Après l’accident, elle a porté plainte contre la société de chemin de fer qui l’a indemnisée. Elle a boité toute sa vie parce qu’à cette époque-là, les blessures ne se réparaient pas comme aujourd’hui.Sur la route de Bois-de-Céné, ma grand-mère a élevé une croix en remerciement qui existe toujours.
Fréderine était une petite femme qui portait toujours la coiffe du pays de Machecoul. Veuve, elle était vêtue de sa robe noire, car il était de tradition pour les femmes de garder le deuil.
Quand elle était jeune, elle était employée comme nurse au château de Fonteclose, c’est certainement là qu’elle a connu son mari.À l’époque, il y avait une vingtaine d’employés au service du Marquis et de sa famille.
L’évasion du Général Giraud
Mon oncle, prêtre, avait été fait prisonnier dans la pointe de Givet, dans les Ardennes. Il est resté en Allemagne 4 ou 5 ans. Il a participé à l’évasion du général Giraud.
Celui-ci avait été capturé le 19 mai 1940 par l’ennemi à Wassigny. Après avoir été conduit dans plusieurs prisons militaires allemandes, il fut interné à la forteresse de Königstein qu’on appelait « la Bastille de Saxe » !
C’était un centre d’internement de haute sécurité pour les prisonniers de grande valeur militaire. Son logement était perché au second étage d’un bâtiment dominant à pic la cour intérieure, avec de petites fenêtres grillagées.
Mon oncle Alcide était l’aumônier des généraux de Königstein. Ma mère, qui envoyait régulièrement des colis à son frère, avait à sa manière, participé à l’évasion en fournissant des ficelles épaisses devant être tressées pour en faire une corde. Après deux années de préparation, les prisonniers ont réussi à fabriquer un filin d’environ 60 mètres pour que le général Giraud s’échappe.
Pratiquant parfaitement l’allemand, il apprit par cœur une carte des abords de la forteresse et le 17 avril 1942, il se laissa descendre le long de la falaise de la forteresse de montagne grâce au fameux cordage.
Évidemment, après cette spectaculaire évasion, les prisonniers, dont Alcide, ont été durement interrogés pendant une semaine, jour et nuit. Mon oncle n’a rien dit, argumentant qu’il était sous le secret de la confession. Ils ont fini par abandonner les interrogatoires, mais il fut emmené au Stalag. Il est resté en grande correspondance avec le Général Giraud après la guerre.
J’ai revu mon oncle Alcide, en 1945 quand je suis allé l’accueillir à la gare au retour de la guerre. Tous les prisonniers arrivaient au fur et à mesure de la libération des camps. Il était très amaigri.
Mon père lui est parti à la guerre à 20 ans, en 1916, il était né en 1897. Boulanger de métier, il faisait le pain pour nourrir les soldats. Il était stationné juste en dessous de la ligne de front, mais ça ne l’empêchait pas d’avoir le risque de prendre un obus. Il suivait les mouvements de troupes. Il ne pouvait pas être loin des campements, car il fallait que le pain soit distribué sur place pour alimenter les soldats. Il travaillait près de 20 heures par jour et malgré ça il manquait toujours du pain !Il n’a pas été reconnu comme ancien combattant parce qu’officiellement il n’avait pas d’arme, mais il avait un fusil posé dans un coin, au cas où !
Je crois qu’il avait commencé à travailler à 14 ans, après le certificat d’études. À cette époque, les fours étaient tous à bois et les pétrins mécaniques n’existaient pas, il fallait tout brasser à la main ; et les gens mangeaient alors beaucoup plus de pain, on ne parlait pas encore de régime !
Après la guerre, mon père a quitté son pays de Sallertaine pour venir à Machecoul rejoindre le pays de mes aïeux maternels.
Une enfance sous l’occupation
Né en 1936, j’ai 3 ans quand éclate la guerre en 1939 et 8 ans quand elle prend fin. Mon père avait déjà fait la guerre de 14 et n’ayant que deux enfants, il restait mobilisable. Le chef des pompiers, un ami lui conseilla :
- Bon, tu signes un engagement, après on aura besoin de toi. Tu conduiras les ambulances si nécessaire.
Et effectivement, à partir de 1943, quand les bombardements ont débuté sur Nantes et Saint Nazaire, mon père était présent pour venir au secours des populations.Quand il entendait vrombir les escadrons au-dessus de la maison, il se dépêchait de monter au grenier pour regarder où allaient les avions et selon leur direction, il savait qu’il aurait à se lever tôt et où conduire son ambulance.
Je sais que les Allemands étaient sévères quant au respect du couvre-feu. On les entendait passer le soir pour contrôler qu’aucune lueur ne passe à travers les carreaux, il fallait tout éteindre ou couvrir portes et fenêtres d’épais rideaux. Quand un rai de lumière filtrait, ils tapaient à la porte en criant « Lumière » de leur accent guttural !
Mes parents m’ont raconté qu’un jour, lors d’une perquisition où les soldats se ravitaillaient « officiellement » dans le magasin, j’ai débouché avec ma voiture à pédales en faisant signe de tirer avec un fusil imaginaire dans leur direction et en criant :
- J’ai un petit fusil c’est pour tuer les boches !
- Vas-tu me foutre le camp a répliqué mon père immédiatement.
Il n’y a pas eu de suite, mais cela aurait pu être grave, car beaucoup comprenaient le français. Le soir, mon père m’a expliqué : Tu vas nous faire tuer, il ne faut pas dire ça.
Quand j’étais plus grand et que je pouvais échapper à la surveillance de mes parents ou de Marie -Jo, je rejoignais les copains sur le pont pour voir les Allemands s’entraîner au tir. Ils se mettaient sous le pont et canardaient des cibles avec des balles à blanc. Après leur départ on allait récupérer les douilles, les balles inutilisées et quelquefois les chargeurs qui restaient. On déguerpissait dans un coin plus tranquille, on séparait les balles de la poudre et quand on en avait assez on foutait le feu dans le tas.C’est sûr que c’était un coup à se brûler, mais il n’y a jamais eu blessé ! Les parents ne savaient rien de nos bêtises.
Machecoul n’a été libéré qu’en mai 1945 à cause de la poche de Saint-Nazaire, zone de résistance tenue par des soldats allemands après le débarquement des alliés en Normandie. Des soldats américains, assistés des Forces Françaises de Libération contrôlaient les limites de la poche qui descendait jusqu’à Arthon en Retz.
Tout cela on ne l’a su qu’après l’armistice. Personne ne nous informait du déroulement des opérations. Mon père écoutait bien la radio libre, mais cela ne disait pas grand-chose, car les messages étaient codés ! Cela restait dangereux quand même de l’écouter surtout qu’on logeait un allemand au premier étage de la maison. C’était obligatoire de fournir une chambre pour les occupants allemands. Mais il ne nous aurait pas dénoncés. C’était un médecin d’une grande correction qui travaillait pour l’hôpital. Notre allemand était venu demander s’il pouvait utiliser le piano.
Un matin, les Allemands étaient partis, on n’avait rien vu ! Disparus pendant la nuit. Ils n’avaient rien laissé par contre ils ont piqué des vélos !
Et enfin la libération est arrivée, le 10 mai 1945 avec son lot de joies immenses et ses abus aussi. Des femmes dont on a rasé la tête au milieu d’une foule interloquée…Un mois durant, les habitants ont fêté la libération avec des concerts et de la musique. Je me souviens la femme du vétérinaire qui chantait perchée sur le toit d’une des fosses qu’avaient creusées les soldats allemands pour planquer deux chars.
Après la guerre, j’ai su que le père Guillemant de Saint Gabriel avait beaucoup fait pour la résistance. Moi j’étais trop jeune pour être au courant, et c’était très dangereux de savoir, tout cela était tu.
C’était la fin de la guerre, mais pas la fin des restrictions. J’en ai collé des tickets de rationnement ! On faisait ça le dimanche en famille.
La guerre des marrons
Ce dont je me souviens surtout ce sont les batailles qu’on faisait avec les copains du quartier.
Il y avait deux bandes : ceux de l’ilot près de l’église de la Trinité, c’était le mien et les autres quartiers… on était une vingtaine de gamins de 8 à 14 ans qui s’affrontaient à coup de marrons. On les ramassait, on les mettait dans des caisses sur roulettes qu’on emportait là où il y avait la bagarre. La plupart de temps, cela se passait au calvaire, sur la route de Challans. Une équipe attaquait le calvaire et l’autre le défendait. On tirait les marrons à la main et des fois cela faisait mal quand on en attrapait un dans l’œil ! Ce n’était pas la guerre des boutons, mais la guerre des marrons !
Et de temps à autre on allait dans le canal juste devant la maison, on remontait le pantalon et on se trempait les jambes dans la flotte pour attraper les sangsues… quand on en avait suffisamment, on allait les échanger chez le pharmacien contre des cigarettes à l’eucalyptus ! C’est comme ça que j’ai commencé à fumer à l’âge de 8 ans… Des cigarettes d’eucalyptus, ils en vendaient aux grands-pères pour respirer.
Souvent on allait aussi traîner dans les ruines du château de Barbe Bleue, Gilles de Retz. C’était l’escalade dans la chambre de la reine. Il fallait grimper par les cheminées intérieures en faisant tout le tour avec des passages au-dessus du vide de plusieurs mètres. C’est là qu’on allait fumer nos cigarettes ! Dans la bande, il n’y avait pas de fille sauf quelquefois, deux ou trois garçons manqués qui venaient avec nous faire des glissades sur la rivière gelée. Quand la neige était là, il y avait des batailles de neige.
Avant mes 10 ans, je n’avais pas de cadeaux à Noël, car il n’y avait rien ! La période était dure.
En effet, il faut attendre 1949 pour que le quotidien s’améliore, les restrictions sont levées, les récoltes sont de nouveau abondantes après deux hivers 1946 et 47 glacials et le retour à une économie normale…
Les cadeaux de Noël de ma jeunesse se résument donc à une orange, des bananes ou du chocolat ! Mais vers 12 ans, maman m’avait apporté un Mécano et un train électrique sur lesquels je passais des journées entières.
J’étais enfant de chœur au couvent des bénédictines du calvaire. Jusqu’en juin 1958, il y avait une vingtaine de sœurs. J’allais avec l’aumônier servir la messe dans la chapelle. J’étais jaloux des autres enfants qui servaient à l’église de Machecoul parce qu’ils récoltaient des sous ou des cadeaux lors des mariages et des baptêmes ! J’avais quand même tous les mois un billet de 10 anciens francs et deux paquets de pain d’Ange qui servait à la fabrication des hosties pour le diocèse de Nantes. Pendant la guerre, c’était pas mal !
Au couvent, il n’y avait aucune cérémonie publique. La seule fois où les sœurs sortaient c’était pour aller voter.On accédait au couvent par une grande porte qui donnait sur la route. Mais, une fois rentré, on ne pouvait pas voir les sœurs, car elles étaient isolées par de grands murs de pierres de 4 mètres de haut. Il y avait une messe par jour et je devais y être à 8 h, avant l’école. Mes parents voulaient que je sois enfant de chœur, moi je ne voulais pas. Mais à l’époque, on obéissait.
Les jeudis après-midi, j’allais au patronage, centre de loisirs de l’époque tenu par les religieux où l’on faisait des jeux de plein air l’été et l’hiver des séances de cinéma fixe. Les aventures de Tintin existaient déjà !
La mécanique chez les jésuites
Après le cours élémentaire à Saint Gabriel, je suis envoyé au pensionnat de la Joliverie, un collège technique tenu par les jésuites, situé à Saint-Sébastien-sur-Loire.C’était une école préparatoire aux métiers de mécanique générale, mais qui pouvait également t’emmener jusqu’au diplôme d’ingénieur. C’était très grand, l’enseignement prévoyait de connaître toutes les nouvelles technologies.
Moi, j’avais plus ou moins choisi cette voie, disons que je n’avais que peu d’options puisque la théologie et les lettres ce n’était pas mon truc ! Par contre j’étais doué en mathématiques et tant mieux, car il y avait davantage de débouchés dans les métiers techniques. Mes parents ont décidé que je ferais mécanique. Je n’ai donc pas vraiment choisi, mais encore une fois, dans le temps c’était comme ça, on écoutait les parents. Il faut dire que je n’aurais pas aimé reprendre le commerce de tissus de mes parents qui subissait beaucoup de concurrence et commençait sa phase de déclin.
Je n’ai jamais regretté mon choix. J’avais 13 ans à mon entrée à la Joliverie et les ailes de liberté ont été un peu rognées… là, ça ne rigolait plus ! On portait l’uniforme et la discipline était bien plus dure qu’à Saint-Gabriel. Pour les frères jésuites, il fallait penser comme eux, et ne pas chercher à penser autrement. Pour nous encadrer, en plus des frères, il y avait des civils. Je me souviens du « Préfet des études », un homme qu’on avait surnommé « Raton ». Alors lui c’était la manière forte et les colles tombaient comme les feuilles en automne.
Les civils c’était surtout des ingénieurs qui venaient pour la plupart de l’ICAM (Institut Catholique des Arts et Métiers). En effet, les élèves étaient formés pour ensuite rejoindre l’ICAM de Lille ou l’école des Arts et Métiers d’Angers.
On se levait à 6 h 30 tous les matins pour aller à la messe puis on enchaînait par un temps d’étude avant d’aller à 8 h au réfectoire prendre un petit-déjeuner puis suivaient les cours en classe ou à l’atelier. Le dimanche, les pères organisaient des promenades ou des sorties. Une fois, il y avait un motocross à une douzaine de kilomètres du collège, on y était allé à pied après le repas de midi. Mais le temps de s’y rendre et de revenir, on n’avait vu que 2 courses !
Au réfectoire le midi, on s’asseyait par grappes de 10 élèves, on nous servait. Ce que l’on mangeait n’était vraiment pas terrible. Je me souviens que chacun notre tour nous coupions le camembert qu’on devait se partager en 10 ! et celui qui coupait se servait en dernier et la part était plus que fine selon son agilité !
Dans notre salle d’études, on était 130 élèves supervisés par un père grimpé sur son estrade, à l’ancienne. À l’atelier, les effectifs se réduisaient à une centaine pour tomber à 40 dans les salles de classe pour l’enseignement théorique. Les études pratiques étaient diverses : ajustage et machines-outils fer, atelier bois, électricité, soudure et forge, bureau de dessin. Il fallait bosser sinon on était épinglé et la sentence tombait, pas de sortie ou pas de retour le week-end. Moi, je ne tenais pas en place et j’étais collé régulièrement, à recopier des lignes pendant des heures. Autant dire que je ne rentrais pas souvent à Machecoul.
Par contre, les jésuites étaient beaucoup moins rétrogrades que les frères de Saint Gabriel. Quand ils voyaient que l’on s’intéressait à un domaine spécifique, il nous encourageait à aller de l’avant dans notre projet. J’étais habile de mes mains et fabriquais des maquettes d’avions ou de planeurs que je faisais voler pendant les récréations sur la grande esplanade du collège. C’était bien de pouvoir tester nos engins.
Afin de confirmer mon orientation vers le métier de mécanicien bateau, je m’engage pour être pilotin sur un bateau pendant les vacances d’été. C’était en août 1954, j’avais 18 ans quand je mets le pied sur le pont du Orcher.
Le tanker Orcher, un bon coup de chauffe
À partir du moment où vous naviguez sur un navire marchand, vous obtenez un carnet de navigation.Mon premier voyage, c’était à destination du golfe persique sur un pétrolier, un tanker américain turboélectrique T2.C’était l’équivalent d’un stage qui m’était utile pour confirmer mon désir d’entrée à l’école navale pour devenir officier mécanicien de la marine marchande. J’ai donc embarqué au Havre le 2 juillet 1954 sur l’Orcher.
Pendant le voyage, excepté le canal de Suez, je n’ai rien vu digne d’intérêt. Regarder les énormes cargos ajuster leur passage au milieu du désert est très impressionnant.Puis on a continué jusqu’à Fao, à l’embouchure du fleuve Chatt-el-Arab. Il y avait un port, mais hormis les quais et les bateaux, c’était vide de toute vie. À 1 km et demi, une grosse station de pompage faisait son office : remplir les navires. Malgré les énormes pompes, il fallait une journée et demie pour que la cuve soit pleine de fioul brut.
On était accablé par la chaleur. La ventilation se faisait avec de grandes manches à air que l’on tournait selon le vent pour amener de l’air aux machines. C’était le boulot des jeunes donc le mien.
Dans les chambrées on avait un petit ventilo individuel par couchette avec des pâles en caoutchouc. C’était tout ce qu’il y avait. Si bien qu’il faisait une chaleur à crever. Je me souviens que j’étais en sueur en permanence et qu’il était impossible de me raser avec mon rasoir électrique.
J’ai débarqué à Port-de-Bouc sur l’étang de Berre en Méditerranée le 2 septembre de la même année.
Sur le bateau, les gars parlaient d’heures supplémentaires, je pensais qu’on aurait la paie en arrivant. Sur ma feuille était notée 50 heures supplémentaires… En fin de compte, quand on est arrivé, on m’a dit :
- Ah oui, les heures supplémentaires, ça ne compte pas, parce que, de toute façon, il n’a pas de paie.
Donc je n’avais plus de sous pour rentrer. L’équipage s’est cotisé et j’ai reçu plus que si j’avais été payé ! Alors j’ai pu rentrer à Nantes et j’ai retrouvé la Joliverie pour une dernière année de formation avant d’entrer à l’école navale de la marine marchande de Nantes.
Ce voyage m’avait permis de ne pas choisir d’embarquer sur un tanker même si la paie était plus importante que sur les autres navires.
Nous savions qu’il fallait s’engager auprès d’une compagnie pour bénéficier de la gratuité de l’enseignement de l’école. Le contrat avec les compagnies prévoyait 15 000 francs anciens par mois en première année, 25 000 en deuxième année, et avec ça, fallait vous débrouiller. On devait un an de navigation par tranche de 100 000 francs, ce qui en moyenne équivalait à devoir quinze ans à la compagnie pour les frais de scolarité et la paye.
Mais quelle compagnie choisir ? Je n’ai pas eu trop de questions à me poser, car à Machecoul, mon père avait un ami marin qui m’a conseillé de le rejoindre à la compagnie des Chargeurs Réunis.
La préparation comme officier de marine
Me voilà donc inscrit à l’école navale de Nantes et de la Marine marchande, qu’on appelait encore l’Hydro.
Après la guerre, une nouvelle organisation de l’enseignement maritime était née. Les 4 écoles d’hydrographie mise en place par Colbert deviennent les écoles nationales de la marine marchande, sauf que nous on disait encore l’hydro ! L’enseignement se partageait en trois sections : l’hydrographie, les mécaniciens, les techniques et commerce maritime. Notre formation nous préparait à être des officiers de marine marchande. On pouvait choisir soit la filière de la formation des capitaines au long cours ; soit celle de la formation des chefs mécaniciens.
Vous l’aurez compris, je m’oriente vers les machines ! Je laisse le pont et la radio… Il y avait un concours d’entrée, j’avais préparé machine. J’aurais pu faire pont, mais à cette époque-là, on disait que c’était plus facile de trouver du boulot à terre si on faisait la mécanique générale plutôt que marin, parce que sur un bateau, il y a des machines, mais il n’y a pas de pont en ville !
L’école navale se situait au bout des quais de la Fosse. C’était immense. La hiérarchie et l’organisation de la marine sont très précises : il y avait les officiers de première, deuxième et troisième classe et les officiers mécaniciens. Au pont il y avait les lieutenants, les capitaines de pêche et les capitaines au long cours.
Le parcours d’études c’était : 2 ans d’école, le service militaire pendant 27 mois, 24 mois de navigation et 1 année de technique pour obtenir le brevet définitif. Au bout de ces 6 années, j’étais officier. Mais là aussi, il y a plusieurs grades. Il y a 4 officiers mécanos sur un bateau : le chef mécanicien, le second mécanicien qui est spécial lui aussi, le 3e, le 4e et si c’est un navire frigorifique le 5e officier mécanicien. Le chef mécano a l’équivalence de salaire et de statut que le commandant. Ce n’est pas le même poste, mais il est autant considéré, il est le patron de la machine. Parce que si la machine tombe en panne, il n’y a plus de bateau.
Moi, j’étais d’abord élève officier mécanicien. L’évolution de carrière met plus ou moins de temps, elle dépend principalement du nombre de places vacantes. Quelquefois c’est bouché et il faut attendre son heure. Certains passaient chefs de bonne heure vers 35-40 ans, et puis d’autres à 52 ans, la retraite étant à 55 ans. Moi je suis passé chef rapidement, mais nous n’en sommes pas encore là dans notre récit…
Dès le début de nos études, on avait intérêt à s’engager dans une compagnie de navigation pour acquérir de l’expérience et aussi parce qu’on était payé pendant nos études, pas grand-chose bien sûr ! Durant les deux premières années, on devait passer les brevets, élève mécanicien puis officier mécanicien, mais avant de rentrer dans l’école de navigation, on restait pilotin et on n’était pas payé quand on partait en navigation.
Moi pour mon premier voyage, je ne savais pas tout ça !
Le passage de l’équateur: le baptême
Mon troisième voyage, je l’effectuai en septembre 1956 sur le paquebot Le Charles Tellier – l’inventeur des machines à froid – qui faisait la ligne de l’Amérique du Sud. C’était un paquebot mixte qui transportait des passagers, mais aussi une dizaine de milliers de tonnes de viande, qui venait de Buenos Aires en direction de l’Europe.
C’était un voyage agréable : à l’aller on faisait Bordeaux, puis Madère, avant de rallier Récif. Après, on descendait au Brésil, avec les étapes dans les ports de Rio de Janeiro et Santos, puis Montevideo et Buenos Aires. Là, on y restait huit jours parce qu’il y avait du boulot. On faisait des visites sur les moteurs, on commençait à faire du nettoyage de collecteurs et de balayage… Sur la semaine pleine, on travaillait 7 jours et demi. Il restait qu’une demi-journée pour voir le pays, cela faisait peu… par contre on sortait le soir.
Dès l’embarquement, le 2nd mécanicien s’occupe du jeune élève. On te donne un papier, un crayon et tu descends dans la machine avec une lampe torche. C’est en sous le parquet que ça se passe et alors là, il y a les tuyaux partout, un vrai labyrinthe.
Alors il faut s’y retrouver et repérer tous les circuits : d’huile, d’eau, de la vapeur… etc. Il faut être attentif pour bien mémoriser.
C’est lors de ce voyage que j’ai vécu mon baptême du passage de l’équateur. J’en avais entendu parler et quand on a approché de l’Équateur, on m’a envoyé dans la cale faire un relevé… je savais qu’il allait se passer quelque chose, mais j’ignorais quoi jusqu’au moment où j’ai vu un gars se balader avec des seaux à la main ! J’ai essayé de me planquer, mais avec deux autres gars, j’ai été rattrapé et badigeonné de la tête aux pieds de déchets de centrifugeuse et d’huile usagée !
Après, il a fallu se nettoyer parce qu’il n’était pas pensable de monter sur le pont comme ça, on aurait tout sali.
C’était le commissaire qui organisait ça. D’abord, l’équipage était baptisé, et après, c’était au tour des passagers. Pour eux c’était moins méchant ! Ils se faisaient casser un œuf sur la tête et jeter dans la piscine. Pour finir, on buvait un coup de champagne. Sur les cargos, c’était le bosco, le maître d’équipage qui baptisait. Lui, il commande les marins sauf la machine.
Sous les drapeaux pendant la guerre d’Algérie
Georges raconte
Pendant la guerre d’Algérie, j’étais en Tunisie sur un bateau militaire sauf qu’on restait à terre ! J’étais intégré à la 5e escadrille des chasseurs de mines et des dragueurs de mines. On avait un petit peu faim, mais ça se passait à peu près bien. J’étais à l’arsenal militaire de Sidi Abdallah en Tunisie où je réparais les bateaux. C’était la 5e base militaire de France.
Il y avait à peu près 2500 personnes qui travaillaient là-bas, principalement des Tunisiens encadrés par les militaires et cadres français. Trois grandes cales sèches étaient prévues pour les bateaux de guerre dont une très grande qui pouvait accueillir le Clemenceau avec ses 320 m de long comme à Saint-Nazaire. Ils revenaient se mettre au sec pour la réfection des peintures.
Il y avait beaucoup de petits bateaux, des vedettes rapides de 40 m de long, qui faisaient aussi partie de la Marine. C’était des vedettes armées qui sillonnaient les côtes d’Algérie en plus des bateaux armés et des dragueurs de mines.
Je m’occupais de la partie technique des bateaux qui n’avaient pas d’officiers mécaniciens à leur bord.
Seuls les bateaux de plus de 100 mètres avaient des officiers mécaniciens à bord, sinon ils n’avaient que des maîtres-mécaniciens. Avec eux, je voyais les travaux à faire et je parlais en leur nom en assemblée générale qui se tenait tous les lundis matin à 8 h.
L’amiral était là avec tous les commandants de navire, et moi qui étais la voix de tous les mécanos. J’avais une place prépondérante dans le circuit, parce que j’aidais les commandants à comprendre les travaux nécessaires à l’entretien des bateaux et les difficultés qu’on rencontrait.
Un bureau de fabrication analysait les travaux en les décomposant en différentes phases. Il en suivait l’avancement et leurs imbrications sur les plannings.
L’atelier de réparation des navires en carénage comprenait une section de machines-outils avec des tours, des fraiseuses et des perceuses pour la fabrication de pièces de moteurs de bateaux. Dans une autre section, des ajusteurs mécaniciens travaillaient pour le démontage et le remontage de matériels de bord.
L’arsenal était indépendant avec une centrale électrique, qui n’a jamais tourné et une usine à fabriquer de l’eau douce.
Il faut savoir que la base navale de Bizerte était un site stratégique très important à la veille de la première guerre mondiale avec un arsenal très développé.
Mais depuis, l’indépendance avait été proclamée et le président Bourguiba voulait l’évacuation des Français de toute la Tunisie y compris de la base de Bizerte.
Mais le Général de Gaulle ne voulait pas céder la base, point d’appui stratégique pour la marine française. La réponse à ce blocage diplomatique fut un encerclement petit à petit de la base et de l’arsenal par l’armée tunisienne.
Nous on n’avait jamais eu de problème avec les Tunisiens, car la majorité travaillait sur la base et ils étaient payés.
Mais certains vers les derniers temps disaient :
- Dégagez, vous n’avez rien à faire là
- On reste là, on ne sait pas ce qu’on fait là, mais on bouge pas et on vous fait pas de mal !
C’était une réponse qui ne valait pas grand-chose.
Cependant la tension montait et à partir de 1961, on savait que cela pèterait un jour ou l’autre et que les soldats tunisiens attaqueraient l’arsenal. On avait donc fait le plein de vivres pour tenir un siège.
Sur la base, il y avait normalement un Amiral major général. Alors qu’à l’amirauté, on était deux mécaniciens en tout : un ingénieur en chef de 1re classe à 5 galons et moi… De 3e classe avec 1 galon !
On était donc à la majorité générale et on avait des prérogatives assez curieuses en ces temps incertains.
À cause du blocus donc on avait fait entrer des bœufs sur pieds qui se baladaient à l’intérieur de l’arsenal. Il y avait eu un accident. Un sous-officier qui devait effectuer sa ronde de nuit s’est pointé avec son vélomoteur et il a percuté un des bœufs. Alors évidemment, il y a eu une enquête, et c’est moi qui étais chargé de la mener.
Il fallait que j’aille voir les commissaires en chef à 5 galons pour leur poser des questions ! Mais ils n’étaient pas officiers de Marine, c’était des assimilés, ils n’étaient pas formés pour faire des enquêtes, ils étaient là pour organiser la distribution des vivres aux gens et c’est tout.
Je me suis retrouvé à demander audience ! J’ai été reçu et j’ai posé des questions.
- C’est vous qui achetez les bêtes ?
- Oui bien sûr
- Dites-moi, pourquoi les bêtes n’étaient pas encloses ?
- Les bêtes elles sont venues comme ça, en troupeau
- Mais vous saviez qu’elles se baladaient partout ? Expliquez-moi ça.
- On n’a pas eu le temps de s’en occuper et de faire un espace de clôture.
Alors j’ai fait mon rapport auprès de mon chef qui lui, a fait le sien à l’amiral…
En avril 1961, la compagnie pour laquelle j’étais engagé m’a rappelé parce qu’il n’y avait pas assez d’officiers mécaniciens. Je n’ai donc fait que 24 mois de service au lieu des 27 mois initialement prévus.
Et Dieu merci, car trois semaines après, des volontaires tunisiens qui pour la majorité n’étaient pas des soldats de l’armée régulière tunisienne, attaquaient l’arsenal. L’homme qui m’a remplacé a été blessé au bras et la balle qui l’a touché avait déjà tué quelqu’un avant… Je remercie le ciel de m’avoir évité de vivre ça et surtout ce qui vint par la suite.
En réponse à cette attaque, le 19 juillet 1961, les hommes du 2e RPIMa parachutés sur Sidi Ahmed pour renforcer la défense des installations françaises furent pris à partie par les armes tunisiennes. Le vice-amiral Amman, commandant de la base stratégique de Bizerte, donna l’ordre d’ouvrir le feu pour une répression sanglante. Les combats furent très violents jusqu’au 23 juillet et allèrent au-delà de la défense de la base navale.
La ville de Bizerte bascula aux mains de l’armée française. Ce fut un massacre : 637 soldats tunisiens et 27 soldats français trouvèrent la mort tandis qu’une hécatombe de civils fut tuée. On dénombra une centaine de blessés français et 1500 blessés tunisiens.
J’ai été rappelé à temps pour ne pas avoir été témoin de ce gâchis et de l’évacuation qui a suivi.
Marin au long cours
Une fois officier, j’ai choisi ma compagnie qui me prenait complètement en charge : on attend d’être appelé pour un embarquement, on navigue, puis on part en congé jusqu’au prochain embarquement.
La plus longue des navigations que j’ai faites, c’était du 2 janvier 1958 jusqu’au 7 février 1959 sans aucun débarquement. On n’avait pas la permission de descendre à terre… cela était vraiment long.
Les voyages les plus courts duraient 1 mois sur les bananiers à destination d’Abidjan, de Douala, etc. Quand le navire transportait du bois d’Afrique, c’était plus long, entre 3 et 4 mois, parce qu’il y avait souvent des temps d’attentes à cause des radeaux de grumes qui n’étaient pas toujours à quai. Ce n’était pas très régulier.
Quant aux voyages sur le Pacifique, c’était toujours très long. On faisait le tour du monde, alors on partait pendant cinq mois.
Au commencement de ma carrière, une malle de voyage nous suivait avec nos affaires, mais après ce n’était plus possible parce qu’on prenait l’avion pour rejoindre le bateau. Notre paquetage s’est réduit alors à une valise.
Les années passant, la règlementation a évolué comme l’obligation d’aller à terre et les voyages furent de plus en plus courts. Le métier s’était assoupli.
Au début, il n’y avait pas de limite on travaillait 24 heures sur 24, avec seulement 2 jours et demi de congé par mois ; et vers la fin, c’était 8 à 10 jours par mois quand les dimanches et les nuits furent rentrés dans le calcul.
J’ai toujours mangé correctement sur les bateaux où d’excellents cuisiniers étaient embarqués pour nourrir les marins. Et on était servis comme au restaurant par le garçon de carré. La plupart du temps, il y avait 3 tables, la table des matelots et des mécanos, la table des officiers et la table du commandant où étaient installés le commandant, le chef mécanicien, et le 2 d capitaine.
Le menu était le même pour tout le monde. Sur le navire on était à peu près 40 marins excepté pour les bananiers où l’on était plus nombreux à cause des cales frigorifiques qui demandaient plus de maintenance.
On ne descendait pas toujours à terre, cela dépendait. Sur la côte africaine de l’ouest, les ports n’étaient pas encore aménagés. Il y avait juste Dakar et Abidjan. Le plus souvent, on restait mouiller au large et des barges venaient pour charger la marchandise et la débarder à terre.
Dans certains pays il n’était pas conseillé de descendre à quai.
Parfois on subissait des attentes interminables à cause de grèves des dockers comme en Argentine où nous sommes restés immobilisés pendant trois semaines avant de continuer à naviguer sur le fleuve jusqu’au port de Rosario où on a déchargé avant de repartir sur Buenos Aires. Manque de pot, ils étaient encore en grève et on a dû patienter encore trois semaines !
En Asie et dans quelques ports d’Amérique du Sud quand notre bateau accostait, une myriade de filles montaient à bord pour nous délester de notre argent !
J’ai également régulièrement vu des passagers clandestins, quasiment à chaque voyage… ils étaient planqués, mais ils finissaient par se montrer parce qu’ils avaient faim. Alors on les gardait à bord, et on les débarquait à l’arrivée. Et puis la police venait les chercher. C’était surtout en Afrique noire, ils se mettaient dans des canots de sauvetage, sous les bâches, puis en mer, ils sortaient.
Durant ma carrière de marin, j’ai principalement navigué sur des cargos marchands qui n’avaient pas de passagers.
La folle aventure du Bakala
En octobre 1962, après la traversée de l’Atlantique, le Bakala entamait sa descente le long de la côte africaine de Dakar à Pointe noire. Peu avant notre escale à Libreville, l’Agence nous apprit que le navire était réquisitionné par l’Ambassade de France pour transporter 2400 réfugiés congolais jusqu’à Pointe Noire.
Suite à un match de foot entre le Congo et le Gabon, des émeutes avaient éclaté à Libreville. Le match n’était qu’un prétexte pour un conflit qui couvait depuis la modification de la frontière entre les deux pays, qui plaçait la mine de Manganèse sur le territoire gabonais.
Arrivant dans la rade de Libreville et le mouillage effectué, une barge plate, tractée par un petit remorqueur, amena nombre d’agents officiels et de militaires chargés de l’exécution du plan d’expulsion. Les formalités effectuées, on commença le déchargement de nos marchandises.
Cette opération terminée, le Commandant réunit les Officiers et les principaux de l’Équipage pour nous informer de la décision de l’expulsion de tous les ressortissants gabonais et l’obligation de leur prise en charge sur le Bakala.
Plus de 2000 personnes, femmes, hommes et enfants, avaient été regroupées sur le port pour échapper au lynchage.
Sauf que notre bateau n’était absolument pas aménagé pour recevoir des passagers ! Heureusement, les cales 3 et 4 étaient vides après le déchargement.
Alors on s’est débrouillé pour pouvoir accueillir les réfugiés. Ce fut un sacré bazar !
Le charpentier de marine se chargea de construire des latrines sommaires tandis que les mécaniciens s’affairèrent à bricoler une circulation d’eau de mer avec le circuit incendie pour permettre l’évacuation des latrines dans l’océan.
Enfin l’embarquement des Congolais expulsés pouvait débuter. Il était temps, car certains des réfugiés attendaient depuis trois jours sur le port dans des conditions sanitaires catastrophiques. Les petites embarcations se succédaient pour déverser une vingtaine de personnes à chaque fois. Cette foule, gonflée de femmes et d’enfants, était prise de panique, devant maîtriser leur maigre bagage et leurs enfants pendant le transbordement sur la barge avant de grimper sur l’échelle de coupée tandis qu’ils se faisaient houspiller par les militaires congolais à coup de matraque. Au passage, des militaires s’emparaient des bagages des réfugiés à qui il ne restait rien.
Sur le pont, le lieutenant de service et deux matelots aidait les réfugiés avant de les orienter entre l’avant et l’arrière du navire, en essayant de ne pas séparer les familles.
Mais rapidement, les exactions des militaires qui au passage blessaient les réfugiés, mirent la panique et empêchèrent les opérations de bien se dérouler.
Le Commandant intervint, arrêta les opérations, demandant aux militaires de cesser leurs violences et leurs vols. Face au refus des militaires, il fit remonter la coupée et, par radio, demanda l’aide de l’Ambassade de France.
L’ambassadeur en personne vint à bord et improvisa un discours expliquant la souveraineté française du pavillon, que le navire était réquisitionné pour des raisons humanitaires, que les brutalités devaient immédiatement cesser sur les réfugiés. En cas de non-respect des règles internationales, il se plaindrait aux autorités gabonaises et que le navire appareillerait sans embarquer le reste des expulsés.
L’effet fut immédiat et l’embarquement se poursuivit dans un calme relatif. Le BAKALA appareilla vers minuit pour Pointe Noire.
Le Commandant avait doublé le service de quart avec trois matelots par bordée pour surveiller que tout se passe au mieux, d’autant qu’il n’y avait pas de médecin à bord. Peu après 4 heures 30, un matelot de ronde signala qu’une femme était sur le point d’accoucher dans un des entreponts et effectivement un des lieutenants s’est chargé de l’accouchement ! Le 24 octobre, vers 8 heures, le BAKALA rentrait au port de Pointe Noire. Dans la nuit les officiers mécaniciens avaient trouvé le temps de fabriquer une belle affichette qu’ils avaient plaquée sur la porte de ma cabine et sur laquelle on pouvait lire : Louis Le Gagne Médecin accoucheur ancien externe des Hôpitaux de Paimpol.
Sur les quais noirs de monde se pressait une grande foule. En plus de la police, de l’immigration, de la douane, de la santé se trouvait le Consul de France, l’agence, les familles et un détachement de l’armée française, encore présente en nombre à l’époque.
Les réfugiés débarquèrent grâce à des planches installées aux cales avant et arrière avant d’être évacués en camion.
Sitôt le départ de ces passagers involontaires et malheureux, on s’affaira à nettoyer le bateau à grande eau avant de reprendre la mer pour débarquer à Bordeaux.
Retour sur la grande bleue
Acide phosphorique, oranges et bananes
À partir de 1984, je suis employé par le « Gafsa », navire destiné au transport maritime d’acide phosphorique entre Sfax et différents ports des Indes. Mon contrat dans cette société permettait de cotiser pour la retraite en France, à l’ENIM ce qui donnait un avantage évident.
J’étais chef mécanicien sous pavillon tunisien sur un phosphoriquier, navire spécialement conçu pour transporter l’acide phosphorique.
En effet, les propriétés de cet acide imposent un revêtement adapté dans les cales, ne permettant pas au navire de transporter une autre cargaison.
J’assurais principalement une ligne maritime du port de Sfax jusqu’en Inde. Elle était particulièrement difficile, car ne s’écartant jamais beaucoup de la ligne de l’équateur, on changeait de méridien tous les trois jours (1 heure). Cela entraînait un dérèglement de notre rythme biologique et provoquait beaucoup de fatigue. En six mois on faisait trois voyages aller-retour.
À la suite d’une décision que j’avais prise qui était contraire à l’avis de la direction, je fus débarqué.
Elle voulait que j’intègre un jeune marin tunisien comme officier mécanicien. Je pensais qu’il n’était pas compétent pour le poste et j’ai refusé. Cela a déplu à la direction et la collaboration s’arrêta là !
À partir de 1986, je suis parti naviguer avec la compagnie marocaine de navigation pour des transports frigorifiques.
C’est à la fois ma meilleure et ma pire expérience de navigation !
En hiver, on transportait des oranges jusqu’en Scandinavie, sur de beaux navires de 120 mètres de long, bien entretenus.
Et en hiver, on faisait des allers-retours entre Lisbonne et Madère, pour acheminer les cargaisons de bananes. Nos jours étaient réglés : du lundi au mardi chargement à Lisbonne et du mercredi au jeudi Madère.
Ça, c’était le meilleur ! Maintenant je vais vous raconter la pire.
L’IMILCHIL, clôture désastreuse de ma carrière
L’IMILCHIL était un navire frigorifique de la compagnie marocaine de navigation. J’embarquai comme chef mécanicien au port de Gênes en Italie, sans trop savoir l’ensemble du plan de navigation.
Je vous livre maintenant l’odyssée de mon voyage !
L’IMILCHIL était chargé de bananes, mais le transport avait pris un retard de deux jours avec une avarie sur le frigo de la cale Numéro 1. Les bananes de cette cale étaient foutues. Le retard pris par le navire a fait qu’un autre bateau arrivé avant nous, avait pris la place sur le quai ; le déchargement des bananes était devenu impossible. Nous avons attendu 1 mois et demi avant de pouvoir décharger notre cargaison, les bananes commençaient à murir et le bateau a été qualifié de nuisible ! Il a fallu congeler les bananes avant de les acheminer à la décharge publique de Gênes à raison de 150 tonnes par jour !
Ça commençait bien !
Après cela, nous sommes restés immobilisés au port pendant 1 mois pour des réparations : cale frigorifique en panne, chaudière en mauvais état et autres bricoles à réparer.
Puis on est parti en Irlande les cales à vide pour charger de la viande à Galway. On mangeait tellement mal qu’on avait ouvert deux cales pour voir si on pouvait améliorer l’ordinaire avec de la viande ! En fait ce n’était que des bribes de viande accrochées à des os…
On devait livrer la cargaison à la Russie, mais on ne savait pas si c’était à Odessa ou Tallinn qu’il fallait débarquer. Puis on a reçu l’ordre de faire route sur Tallinn. Quand nous sommes arrivés à quai, il y avait des soldats russes qui surveillaient étroitement nos allées et venues.
C’était le début de la pérestroïka qui a abouti quelques mois plus tard à la révolution chantante et la chute de l’empire soviétique. J’ai eu dans les mains le premier journal d’opposition, mais écrit en cyrillique je ne pouvais pas le lire !
Dans la ville, les magasins étaient vides.
Nous avons repris la mer en direction d’Anvers. Dans le port, L’IMOUZERE était à quai, attendant du fret. Quant à l’IMILCHIL, il avait subi une voie d’eau à cause d’une vanne qui s’était rompue, que l’on avait pompée. Arrivé à Anvers, le bateau nécessitait encore des réparations.
Les deux navires étaient proue contre proue et tout l’équipage s’est porté sur l’IMILCHIL.
Après avoir réparé quelque peu, sans grands moyens, on reprit la mer avec ordre d’aller à l’ouest, mais sans connaître plus notre destination. Enfin un câble arrive : cap sur le Panama à la rencontre des thoniers mexicains et américains en campagne de pêche dans le pacifique.
Arrivés sur site, les thoniers nous livrent le thon surgelé à -7° que l’on congèle à – 20° à bord.
On mouille pendant 1 mois et demi en mer, tandis que les dockers embarqués chargent des tonnes de thon !
La teugue d’un navire est l’espace à l’avant qu’on laisse toujours libre pour éviter que le nez du bateau pique.
Le commandant de bord a demandé à ce que la teugue reste vide, mais la compagnie, ne voyant que son profit, a ordonné que le volume total du navire soit chargé (7000 tonnes). On naviguait donc sur l’avant, à tel point que lors de la traversée du canal de Panama, la capitainerie nous a fait passer les derniers !
On a repris l’Atlantique avec des cales mouillées, car les aspirations des cales et des locaux machine se trouvent sur l’arrière des compartiments… on devait se rendre à Bari en Italie.
Dans les Caraïbes en août, le temps est épouvantable et de nombreuses tempêtes secouent l’océan. Lors de l’une d’elles, le bateau subissait de terribles vibrations et il aurait fallu ralentir de quelques nœuds, mais le fonctionnement du moteur au fuel lourd implique une marche à forte vitesse et la marche au fuel léger ne peut excéder une dizaine d’heures ! La tuyauterie a fini par lâcher occasionnant une voie d’eau dans le local machine.
En plus, on ne pouvait plus envoyer de SOS, car on n’avait plus de radio ! L’officier radio avait fait une belle connerie : il avait relié les antennes à la masse alors qu’on subissait un gros orage. Les antennes radio furent détruites par la foudre. Il ne nous restait qu’un Talky Walky pour communiquer.
La navy américaine qui patrouillait autour des côtes colombiennes a capté notre signal de détresse. Ils ont acheminé leur matériel, mais les marins américains n’ont pas réussi à pomper. Après plusieurs tentatives, ils sont repartis embarquant avec eux notre équipage, et signalant notre problème à un remorqueur.
On est resté à 4 sur le bateau pendant une trentaine d’heures : l’électricien, le bosco, le commandant et moi jusqu’à l’arrivée du remorqueur.
La cargaison était aux ¾ américaine et l’affréteur aurait voulu que j’aille à New York pour témoigner, mais j’ai refusé, rendant les rapports écrits obligatoires pour les assurances et la recherche des responsabilités.
Ce fut la fin de ma carrière dans la marine marchande. Le temps de faire mon rapport, nous étions le 23 août 1990.
D’autres extraits des chroniques des Aventuriers de Machecoul vous attendent ici:
https://ecrire-coach.biographe-valeriejean.fr/category/les-biographies-realisees/
Related Posts
- La biographie en duo de Ange et Marie Claude accompagnés de Valérie Jean. Résumé Ange et Marie Claude issus d'une famille sicilienne pour lui et franco-sicilienne pour elle, dont les parents se sont exilés en Tunisie à cause de la pauvreté de leur île. ont vécu le basculement de l’histoire…
- Un recueil biographique réalisé avec Léopold. L'enfance d'un petit gars du marais avec ses joies, se jeux, ses peines et son travail...Un touchant récit dans lequel se retrouveront nombre d'adultes ayant grandi à la campagne. Fontordine, ma maison 9 livres et demi... c’est mon poids de naissance ! Ah bien oui,…
- Récit d'une vie de souffrance Monique Lacaille-Coufourier, fait le récit de son enfance. Confiée à la DASS, 15 jours après sa naissance, elle ne retrouvera jamais ni le foyer parental ni le partage d’une vie avec ses frères et sœurs de sang. Appuyés par documents et des témoignages, elle dévoile…
- Livre "Les couleurs de ma vie" Une biographie qui raconte l'enfance et la jeunesse de Brigitte sur un fond de paysages ensoleillés méditerranéens où insouciances et déchirements s'entremêlent. Extraits du livre "Les couleurs de ma jeunesse". Les années de guerre Les années de guerre vont encore accélérer les changements…
- "Et le meilleur reste à venir" , une biographie écrite avec Guy Lavo, un agriculteur plein de ressources qui nous raconte comment il a été amené à devenir un inventeur génial dans l'agriculture puis dans l'industrie. Cela malgré des trahisons familiales et amicales. Editions Scripta-Biographie de Guy LAVO et Valérie…
- Un roman autobiographique Un récit de vie de Jacqueline Paris accompagnée de Valérie Jean Terra édité en éditions familiales. La sauvageonne de Jacqueline Paris Quatrième de couverture de "La sauvageonne" Des 7 blessures fondamentales que l’on peut subir dans son enfance, Jacqueline, survivante d’une enfance ravagée, a montré une résilience…
- L'aventure passionnante de Pascal, le narrateur, nous emmène pas à pas vers la transformation profonde de sa personnalité, de son être tout entier Extraits de texte Attention, ces extraits sont choisis et ne constituent pas l'intégralité du texte Préambule Depuis tout petit, je me sens guidé, une intuition intérieure m’interpelle…
- "Zora, Mon amour" Biographie Extraits du livre "Zora, Mon amour" « Et voici Constantine, la cité phénomène, Constantine l'étrange, gardée comme par un serpent qui se roulerait à ses pieds par le Rhumel, le fantastique Rhumel, fleuve d'enfer roulant au fond d'un abîme rouge, comme si les flammes éternelles l'avaient brûlé.…
- L'héritage invisible pour une Renaissance perceptible Un livre de Gerty Foucault accompagnée de Valérie Jean Terra qui retrace sa quête d'apaisement et de pardon. Gerty nous livre la souffrance viscérale reçue de ses ancêtres esclaves, la colère ressentie à la mort de sa mère, pilier de sa vie et enfin…
- Une biographie que nous offre Mava Trebah dont je n'ai fait que la correction. Elle nous révèle les tourments d'une jeune femme atteinte d'une maladie psychiatrique et qui tente de revenir à une vie normale, où il serait possible d'avoir cet enfant désiré, qui devient l'enfant de papier. Extrait de…
- Les ateliers d'écriture, la liberté d'écrire Écrire en groupe ou pour soi On entend souvent parler d'atelier d'écriture. Pour les novices, on devine bien qu'il s'agit d'écriture mais après? On sait ce qu'est un atelier mais ce qu'on ne sait pas toujours en revanche c'est ce que recouvre ce terme…
- Quatrième de couverture Anne Hugon et Guérino Simonelli, nous offrent à travers ce récit une entrée sous le chapiteau de leur vie. Elle fut riche d’émotions, et d’expériences extraordinaires, dans de nombreux cirques de France et d’ailleurs, avant de poursuivre leur passion à l’ombre du chapiteau de l’association « Le Nez…
Les commentaires sont fermés, mais les trackbacks et pingbacks sont toujours ouverts.