On a tous droit à l’amour
Récit d’une vie de souffrance
Monique Lacaille-Coufourier, fait le récit de son enfance. Confiée à la DASS, 15 jours après sa naissance, elle ne retrouvera jamais ni le foyer parental ni le partage d’une vie avec ses frères et sœurs de sang. Appuyés par documents et des témoignages, elle dévoile ici les souvenirs qui lui restent de cette vie d’esclave violentée par deux de ses nourrices.
Extraits du livre
Quatrième de couverture
Ma liberté acquise, enfin, je me suis donné le droit d’écrire mon histoire. D’abord pour moi, pour déposer les mots de cette mémoire douloureuse, pleine d’interrogations, de doutes et de culpabilité…
Tourner la page, c’est ce que je me souhaite et avec l’écriture de ce livre, je sais que je vais y parvenir. Raconter les circonstances de ma naissance m’a permis de suivre le fil d’une histoire occultée, découpée dont je redécouvre les acteurs comme une pièce de théâtre oubliée.
C’est aussi, dire à mon fils par où je suis passée.
Je me suis lancée dans l’aventure en osant tout d’abord téléphoner à Valérie, ma biographe à qui j’ai confié mon projet. Et puis après quelques semaines d’attente, il a fallu prendre la route pour la Vendée, moi qui n’avais jamais conduit si longtemps, si loin…
Et les entretiens ont commencé, les souvenirs ont peu à peu afflué, de plus en plus précis, ponctués par des flashs éblouissants de clarté, me ramenant à cette enfance volée, mutilée.
Durant ces séances, les émotions ont débordé de mon cœur et les larmes n’étaient jamais très loin. Mais je savais que c’était le chemin à emprunter pour retracer le début de mon existence.
Plus tard, ma quête s’est poursuivie avec la volonté farouche de comprendre par des rencontres avec des personnes qui avaient connu ma nourrice et pour d’autres ma mère. Même si peu d’éléments ont été recueillis, ils participent à mon récit.
Je vous livre aujourd’hui cette part de moi-même avec humilité et avec amour.
Préambule
À trente-trois ans, après des recherches et accompagnée de mon amie Nancy, je rencontrai ma mère biologique.
Après m’être présentée, elle me dit :
- C’est pas possible, la DDASS m’a dit que t’étais morte.
Voilà une phrase qui depuis me taraude, jetée au détour d’une conversation, et qui a épaissi davantage encore le voile posé sur ma naissance.
La confusion et l’éparpillement sont les maîtres- mots du puzzle de ma vie que je tente de reconstituer depuis des années.
Pour ne pas me perdre ni vous perdre, il me faut donc revenir à un récit chronologique où sans doute il y aura des pas de côté et des détours.
Environnement de ma naissance
La misère alcoolique était un trait commun à mes grands-parents et ma mère ce qui, sans aucun doute contribua pleinement à sceller mon destin en dehors de ma famille biologique. J’étais l’avant-dernière d’une fratrie de sept enfants; et pourtant, je n’ai jamais vécu avec mes frères et sœurs de sang. Mais avant moi, tous étaient déjà placés en famille d’accueil.
Au moment de ma naissance, ma mère était menacée d’expulsion de sa maison et elle n’avait que trois semaines pour trouver une solution. Prise dans l’urgence, elle n’eut pas d’autre choix que de demander une assistance temporaire à la DDASS qui ne lui accorda qu’un délai de 1 mois pour mettre fin au placement temporaire avant que son enfant ne soit déclarée abandonnée officiellement.
Après une dizaine de jours vécus auprès de ma maman, j’entrai à la pouponnière le 1er mars 1959. Je ne revivrai jamais plus ni avec mes parents ni avec mes frères et sœurs de sang placés dans d’autres familles sans que je les rejoigne. Cela reste une immense blessure d’avoir été privée de ce lien fraternel.
Étant dans une démarche de compréhension de mon histoire et de pardon pour toutes les fautes commises autant par mes parents que par les institutions, je pense que chacun voulait bien faire.
Ainsi, ma mère sans grand sens maternel en grande fragilité financière avec de surcroît des problèmes d’alcool n’avait déjà pas réussi à garder ses autres enfants.
Le personnel en charge de mon dossier à la DDASS a sans doute agi en pensant au meilleur pour l’enfant… Cela reste une interrogation pour moi. Je sors de la pouponnière et suis placée dans une première famille d’accueil. Sans doute ma mère n’a pas trouvé les ressources nécessaires pour me reprendre puisque je suis placée dans une deuxième famille d’accueil
Un parcours de privation et de violences
Au début, ma mère prenait le car pour venir me voir dans cette famille jusqu’au moment où la DDASS selon ses dires, l’aurait informée, que j’étais morte.
Bien sûr, j’étais trop jeune pour me rappeler de cette période. Je sais que c’est cette famille qui m’a baptisée.
C’est par une de ses nièces que j’ai appris à l’âge adulte certains détails. Ainsi, elle m’a confié que j’étais maltraitée et que j’avais fréquemment des bleus. Je restai dans cette famille jusqu’à l’âge de 2 ans avant d’être placée dans une troisième famille où je resterai jusqu’à quatorze ans. Comme vous voyez j’ai appris à valser très jeune !
Cendrillon pendant douze ans
J’allais à l’école comme tous les autres enfants et le jeudi après-midi, je restais à la maison. Sauf qu’alors je devenais Cendrillon.
J’avais la consigne de vider les placards et de tout nettoyer.
Quant aux samedis, pas question d’aller s’amuser. Les corvées s’enfilaient comme des perles jusqu’au trottoir que je devais laver à l’eau de javel ou les cartables et les chaussures que je devais cirer dans le garage…Ma nourrice ne supportant pas que je sois assise sans rien faire, systématiquement elle me chargeait de tâches ménagères.
Un jour que l’eau de la grande bassine où on prenait le bain a inondé la chambre, ma nourrice m’a fait nettoyer et cirer tout le parquet. Je m’étais exécutée sauf en dessous de l’armoire… elle s’en est aperçue et j’ai dû tout recommencer.
Quand ma mère nourricière recevait du monde et c’était souvent le cas, c’était moi qui faisais le service à table et qui nettoyais la cuisine. La salle de « réception » était en bas et je me tapais les escaliers… !
Des violences quotidiennes
De la part de ma mère nourricière, je n’ai aucun souvenir d’un geste tendre, d’une parole affectueuse. Par contre la trace de sa violence est encore inscrite dans mon corps : ses claques, ses coups, la tête tapée contre le mur… Elle ne ratait jamais une occasion de me faire mal ou de m’humilier.
Quand je me suis mise en quête de mon histoire, j’ai retrouvé des personnes qui m’ont connue durant mon enfance, comme Coralie qui a partagé un nombre conséquent d’années à mes côtés dans cette famille où elle était également placée, voici son témoignage oral qui a été retranscrit :
« Monique, elle était dans la chambre du fond, celle de son fils marié qui était parti.
Dans cette chambre elle était seule. Il y avait une fenêtre qui donnait chez les voisins. Quand la nourrice fermait les volets, ça voulait dire que Monique allait prendre sa raclée. Nous, les autres enfants, on n’avait pas le droit de venir, ni même passer le couloir, il fallait qu’on reste dans la cuisine. On entendait alors les hurlements de Monique, je suis restée traumatisée par ces crises de violence. Une fois que la nourrice sortait, on trouvait Monique soit inconsciente soit avec du sang et c’était à nous de nettoyer.
Le pire c’est que cela ne servait à rien qu’on signale ça à la DASS, personne ne venait constater. Et puis les contrôles étaient sur rendez-vous, souvent le jeudi… en tout cas ils n’ont jamais rien signalé. La nourrice s’arrangeait pour que personne ne voie les dégâts sur Monique. Par moment, elle obligeait les plus jeunes à aller chercher des orties pour frapper Monique derrière la maison, cul nu. Cela donnait sur des champs, personne ne pouvait voir ou bien c’était dans le garage. J’ai vu Monique avoir des cloques énormes sur la peau. Souvent Monique dormait à la cave avec les souris, le sol était en terre battue. Il y avait tout un bazar entreposé là pour faire le cidre, l’odeur était écœurante, elle se cachait derrière les barriques parce que c’était le seul endroit où elle pouvait se cacher. Tu restais enfermée à clef dans cette cave avec Melina qui était quelquefois punie aussi. Les fenêtres étaient grillagées et tu restais dans le noir des heures durant.
Et puis pour les fêtes à Noël tu devais faire la cuisine pour toute la famille : il y avait une quarantaine de personnes ! La nourrice ne s’occupait de pas grand-chose, c’était Monique à partir de 10 ans qui faisait tout à part les courses. Il fallait que tout se passe bien et la fête durait 2 jours. La nourrice était juste là pour contrôler et après c’était aussi à Monique de faire la vaisselle, sans aide parce qu’elle nous interdisait de l’aider.
L’anonymat de nos vies
Quand on est enfant de la DASS, notre vie ne nous appartient plus ; il n’y a aucun choix, même si tous les enfants sont de fait sous la coupe de leurs parents, ils peuvent malgré tout avoir prise sur la décoration de leur chambre, faire du shopping pour s’habiller, choisir leurs activités récréatives et sportives… et surtout avoir des relations uniques avec des personnes de cœur… comme le parrain et la marraine.
Pour moi, il a fallu changer de personnes entre le baptême et la communion. Ma nourrice n’ayant pas retrouvé le couple choisi comme parrain et marraine pour mon baptême, elle a arbitrairement désigné qui étaient initialement les parrain et marraine de Catherine, qui était décédée au moment de ma communion.
J’étais choquée de ce choix qui pour moi était un sacrilège ; j’avais l’impression de voler quelque chose à Catherine.
Je ne me souviens plus de la cérémonie excepté les cadeaux reçus : une montre et une statuette de la Vierge. Mais avec les nombreux déménagements effectués par la suite, je l’ai perdue. Ou peut-être aussi que c’est mon mari qui l’a jetée, car il s’autorisait à faire des incursions dans le garage, jetant des affaires qui m’appartenaient.
En matière d’habillement, nous étions à la dernière mode du couturier DASS ! Nous allions chercher des trousseaux de vêtements dans les locaux de la DASS.Dans une pièce sombre, on nous plaçait face à des étagères où étaient exposés des pantalons, des blouses, des chaussettes, des chemises dont on il fallait choisir les couleurs. Ce look « DDASS » hors mode nous identifiait mieux que n’importe quel autre signe aux yeux des autres enfants.
Les quolibets humiliations pleuvaient alors régulièrement tel
- T’as été trouvée dans une poubelle.
- Ta mère c’est une pute alcoolique
Quand on se promenait en ville, ce qui était très rare, il arrivait que des connaissances de la famille nous rencontrent. Je me souviens qu’un jour alors que j’étais avec une des filles de ma nourrice, la personne s’est exclamée en me voyant
- Tiens c’est votre fille.
- Non c’est une fille qu’on élève…
Me renvoyant à mon statut d’enfant abandonnée. Cela n’a l’air de rien, mais ces réflexions ne sont pas anodines et vous marque du sceau de l’humiliation, vous n’avez nulle part votre place même si vous restez plus de douze années dans une famille que l’on dit d’accueil !
Cela grave en vous le sentiment que vous ne valez rien même dans la pire des situations, vous êtes dans l’acceptation de ce que vous vivez.
J’allais régulièrement chercher le lait à la ferme située à environ 1 kilomètre. Un soir alors que la nuit tombait, j’entendis quelqu’un m’appeler Monique, Monique. Je ne voyais plus grand-chose je me suis rapprochée de la voix qui m’était familière. Je me suis alors trouvé face à un homme qui puait la sueur. Promptement avant que je ne réagisse il a tiré sur mon pantalon et frotta son sexe contre moi, cherchant à me pénétrer. Sa force m’immobilisait et j’étais terrorisée quand brusquement un bruit l’a surpris. Il m’a lâché et j’en ai profité pour m’enfuir. J’ai couru à perdre haleine et suis arrivée tremblante et complètement paniquée à la maison. Ma mère sans s’émouvoir un seul instant de mon état me lança sèchement
- Va te coucher.
J’ai simplement obéi. Je n’ai rien dit, ni ce soir-là ni les jours suivants avec dans la tête la phrase de ma nourrice :
- Tu finiras putain comme ta mère.
Dans mon esprit, je n’avais que 10 ans, ce que je venais de vivre était normal…
La délivrance
Paradoxalement, l’accident que j’ai eu à mobylette m’a permis de passer à une autre vie.
En effet, partie en mobylette chez une copine, je me suis soudainement sentie mal et j’ai fermé les yeux… assez de temps pour provoquer un accident.Je suis rentrée dans une voiture et je suis tombée. Le casque s’est retiré, car je ne l’avais pas attaché (en ce temps-là les contrôles n’avaient rien de sévère), mais par chance, ma tête n’a pas heurté le trottoir, mais les jambes d’un passant. Cela m’a sauvé la mise. Comme l’incident se passa près de chez ma marraine, sa fille a prévenu ma nourrice.
Entre temps les pompiers m’ont emmenée à l’hôpital où l’on me diagnostiqua une fracture du tibia. Il y avait une jeune fille à côté de moi, à qui je me confiai, mais je ne l’ai plus revue.
Quelque temps plus tard, ma nourrice est arrivée et à peine entrée dans la chambre qu’elle m’apostropha durement :
- Tu te débrouilles, mais je pars en vacances !
Je me suis mise à pleurer, car pour une fois qu’elle consentait à m’emmener moyennant finance je ne partais plus. Les infirmières ont vu que j’étais mal et ont constaté le manque total de compassion de ma nourrice. Elles appelèrent une assistante sociale qui me plaça dans la maison de convalescence des Campeaux.
Ce fut le premier pas vers une autre orientation qui me délivra de cette nourrice qui marqua si durablement ma jeunesse à tel point que j’en fais encore des cauchemars et que je n’ai jamais pu me départir de mes angoisses.
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