L’enfant de papier
Une biographie que nous offre Mava Trebah dont je n’ai fait que la correction. Elle nous révèle les tourments d’une jeune femme atteinte d’une maladie psychiatrique et qui tente de revenir à une vie normale, où il serait possible d’avoir cet enfant désiré, qui devient l’enfant de papier.
Extrait de l’enfant de papier
Tu vois ce ruisseau qui traverse l’herbe jaune ? J’aimais venir m’y tremper les pieds quand j’avais vingt-cinq ans ; je trouve la vue splendide d’ici. Les neiges commencent à fondre et nous sommes là au soleil même si le sol est encore un peu froid. J’ai une photo dans l’album faite par un ami à cet endroit : tu sais, celle où j’ai des ailes de papillon ! J’aime beaucoup cette image qui quelque part me ressemble. Continuons notre promenade. Veux-tu traverser le torrent? Mais attention, l’eau va être fraîche! Allez, allons-y, enlevons les chaussures et les chaussettes et nous ferons route ensuite vers la maison. En arrivant, nous irons au jardin pour y faire un peu de ménage. Même si le sol est encore trop dur pour le cultiver, rien ne nous empêche de l’imaginer à la belle saison!
Ensuite, je te ferai visiter un atelier de menuiserie juste à côté. Tu vas y sentir les odeurs du bois, j’aime cette odeur ! L’artisan qui y travaille sculpte du pin cembro ou du mélèze à l’aide d’un simple couteau pour ornementer les meubles. Le mélèze, c’est cet arbre en forme d’allumette devant nous. Ils ne sont pas très beaux en hiver, mais tu verras leur flambée en automne se détacher du ciel bleu azur : c’est un vrai spectacle!
En parlant de nature et de ses richesses, tiens, demain nous irons aux pissenlits pour nous faire une bonne salade. Il va falloir descendre un peu plus bas car ils n’ont pas encore poussé ici. On les accompagnera d’une poêlée de lardons, d’une vinaigrette à l’huile de noix et à la sauce soja, ainsi que d’œufs mollets. D’ici quelques semaines, nous pourrons également aller aux morilles, ces champignons au goût subtil dont nous sommes nombreux à raffoler. Il y aura aussi les mousserons qui poussent dans les ronds de sorcières. Comme les morilles, nous les mettrons à sécher pour en avoir toute l’année.
J’ai tant de choses à te montrer et à te faire découvrir dans cette région… Regarde ces grands espaces! Il n’y a aucune clôture, aucune autorisation à demander, nous sommes chez nous partout dans ces montagnes!
Pour Pâques, nous choisirons un agneau à la ferme de Jean, un vieil ami, il le préparera pour que nous puissions partager de nouveau un bon repas. J’ai longtemps cuisiné en t’attendant tu sais, j’ai acquis beaucoup de livres de recettes d’autrefois. Ici, le temps est comme arrêté et ce sont les saisons qui nous rythment. C’est le pays que j’ai voulu choisir pour toi : en dehors d’ici, le monde commence à devenir fou, il oublie l’essentiel et les bonheurs simples !
Les enfants ici sont inventifs, ils ne restent pas toute la journée devant des écrans ! Il faut que je te raconte la fois où Théo, que tu rencontreras plus tard, m’a emmenée dans une barque qu’il avait fabriquée en douce avec un copain. Le plan d’eau grouillait de têtards! J’ai une autre anecdote le concernant : un jour, il a emporté une poule en car et l’avait lâchée dans la cour du collège pour s’amuser. Qu’est-ce que j’ai ri et admiré les fantaisies des enfants de ce pays.
En été, nous irons dans les alpages au chalet, avec leurs fontaines, à côté desquelles tu pourras découvrir les marmottes. D’ailleurs, pourquoi ne pas profiter d’être là-haut pour accompagner un berger pour une balade avec les troupeaux ? Ce serait une bonne occasion. Dans le chalet, il n’y a pas d’électricité, nous ferons un feu dans le poêle pour faire bouillir l’eau et le lait. Tu verras comme c’est joli d’être les premiers levés et de voir soudain de la fumée jaillir du toit !
Un matin, nous essaierons de surprendre la marmotte qui a élu domicile sous le chalet voisin. C’est facile de trouver dans quel trou elle se cache car son odeur est assez prenante. Puis, je t’emmènerai plus haut découvrir les chamois. Quand tu le pourras, tu nous accompagneras, nous les adultes, où ces animaux se baladent. Nous irons y cueillir le génépi. Le génépi, c’est une plante aux fleurs jaunes qui pousse en altitude et avec laquelle nous faisons une boisson traditionnelle des montagnes. Nous ne pourrons prendre qu’une poignée par personne et j’espère que tu n’auras pas le vertige! Moi je n’ai pas toujours été fière d’être à deux doigts du vide ! Une fois rentrés, nous descendrons pour aller dans les pharmacies, mais chut! Il n’y a plus le droit de fabriquer soi-même de l’alcool. Le pharmacien nous demande juste de gratter le numéro de série du flacon. Bon, je dois te dire qu’il y a peu de chance que l’on croise la gendarmerie pour un contrôle. Au pire, je serai appelée par quelqu’un de la vallée pour me dire où ils sont car ça fonctionne comme ça ici : si quelqu’un sait quelque chose utile à tous, l’information passe d’un village à un autre sans souci, il suffit de prévenir où nous allons. Ensuite, à la maison, nous ferons le sirop de sucre et d’eau, je te donnerai la recette, mais ça, ça restera entre nous également. Nous obtiendrons du génépi à 45°, et les amis en visite en raffoleront!
A cette époque de l’année, la terre est prête à être jardinée. Nous devrons faire très vite, car nous n’avons que peu de temps pour que tout pousse avant que le froid ne revienne. Heureusement, j’ai dégotté des semences de variétés anciennes de légumes qui se sont adaptées. L’été c’est aussi le temps des corvées : chaque année, un membre de chaque famille du village est désigné pour aller piocher et restaurer les sentiers. Il y aura aussi les patates à récolter, les bocaux à faire, les surgelés… Nous participerons à la fête des moulins avec la fabrication du pain. La pause estivale c’est aussi l’époque des concours de pétanque, tu verras comme c’est amusant et toutes les générations s’y rassemblent !
Ensuite viendra l’automne et la saison de la chasse. Les amis nous appelleronts à leur retour avec, je l’espère, un gros sanglier. J’adore cette viande, j’ai hâte d’en remanger ! Ce qui m’impressionne le plus dans la chasse d’ici, c’est celle des chamois, c’est très sportif de les suivre dans les montagnes. Il faut que je te raconte l’histoire du Tôt. Il s’appelait le «Tôt», car il se levait toujours avant l’aube. C’était un vieil homme qui avait plus de 70 ans. Un automne, il a tué un chamois qui tomba en contrebas dans les éboulis. Il était tellement gros et lourd qu’il a dû le découper en deux morceaux. Il était à 45 minutes de sa voiture, en pleine montagne et il a réussi à faire les deux aller-retours pour ramener la bête. Quand il racontait cette histoire, il avait les yeux encore brillants de son exploit! Nous prendrons ainsi les repas de chasse tous ensemble, tantôt dans la salle, tantôt chez Véro, la meilleure cuisinière de la vallée. L’automne c’est également la saison des champignons : les violets par exemple que l’on trouve sous les conifères. La première fois qu’un ami me les a montrés, je les ai regardés de travers : leur couleur ne me laissait pas supposer que nous pouvions les manger. Mais c’est bon, nous les cuisinons en omelette.
Ensuite, il y aura les premières chutes de neige. Tu le sauras sans même avoir regardé par la fenêtre, ça se ressent, ça s’entend. Le son de la cloche est assourdi, plus doux, les bruits extérieurs sont soyeux. Et en jetant un œil dehors, tu verras le premier saupoudrage, avec peut-être le lendemain une soixantaine de centimètres de neige tombée en une seule nuit. Les branches des arbres ploieront sous son poids. C’est alors que tout le village sortira dans la rue, affairé à déblayer les voitures, dans l’attente de la déneigeuse. Nous sortirons avec une pelle, un balai, pour nous frayer un chemin, pour nous aussi enlever la neige du toit des véhicules, de lourds tas de neige tombant tout autour.
La route dégagée, les grands iront au travail, empruntant la seule route encore ouverte pour descendre plus bas. C’est un temps magique l’hiver bien qu’il soit affreusement long. Le soir, la première chose que nous ferons sera de prendre au passage du bois pour allumer le foyer. La nuit sera déjà là, et nous resterons au chaud. Ce sera la bonne saison pour apprendre à sculpter, à fabriquer des jouets en bois, à peindre par exemple. Il y aura les veillées autour des jeux de cartes et tu verras que je ne suis pas mauvaise à la belote contrée ! L’hiver en montagne c’est aussi le moment de vivre les pistes, il y a plein de touristes. Bien sûr, nous ferons du ski et nous irons en raquettes jusqu’au lac à seulement 45 minutes de marche. Certains villageois, eux, participent à la grande traversée en ski de fond, et ce jour-là, nous croiserons les doigts pour que tout se passe bien.
Il y aura le temps de l’Avalanche. Au pays, nous personnifions ce qui est grand et que l’on ne maîtrise pas: l’Avalanche, la Montagne, la Rivière, le Loup. D’ailleurs, peut-être aurons-nous la chance de le voir comme le jour où je l’ai vu traverser la route et s’arrêter devant moi! C’est rare, même pour les gens d’ici.
C’est au mois de mars qu’arrive le temps des avalanches. Là, il faudra être très prudents. Plus de balades en montagne, plus de hors-piste, plus de traversée de torrents cristallisés ! À chaque pierre tombée devant nous en voiture, il faudra accélérer pour éviter un éventuel éboulis. Il y a le verglas aussi, caché sournoisement sous une fine couche de neige. Tu le repèreras vite, à l’ombre des arbres, souvent embusqué dans les virages. Pendant cette période, tu verras peut-être beaucoup d’accidents comme un chevreuil tapé par une voiture…Pour ne pas le gaspiller, même si ce n’est pas autorisé, on l’enfourne rapidement dans le coffre et les amis de chasse s’en chargent avant que l’on partage encore un bon repas.
Et enfin, pour clore l’année, nous préparerons Noël. Nous irons en famille discrètement en forêt juste avant que la nuit tombe, équipés de nos raquettes. Un peu plus haut, nous choisirons un sapin, l’un de ceux qui poussent l’un à côté de l’autre. Nous couperons le moins vigoureux, qui n’aurait pas grandi à l’ombre de son frère, avant de redescendre sur les fesses avec notre chargement. Le crissement des cristaux de glace dans les épines traînantes derrière nous, nous accompagnant. Ce sera certainement la sortie la plus froide pour toi, mais nous te couvrirons bien. Nous décorerons le sapin le soir même ou le lendemain. Le père Noël descendra en calèche jusqu’au village et viendra te demander si tu as été sage. Tu lui répondras sans doute « oui » et ce que tu souhaites comme cadeaux. Le jour du réveillon, nous décorerons la table en prenant quelques branches de sapin et des pommes de pin. Il faudra les planter dans une patate emballée au préalable dans du papier aluminium. Nous disposerons la crèche avec plus loin les Rois mages en chemin et enfin, nous mettrons l’étoile en haut du sapin. Puis ce sera la préparation en cuisine du réveillon, notre meilleur repas de toute l’année : des toasts aux œufs de poissons, des escargots, un gigot de chevreuil ou une pintade cuite en cocotte. Nous sortirons à cette occasion une belle nappe agrémentée de quelques paillettes et de jolies assiettes. Le repas se finissant, nous nous réjouirons de voir arriver sur la table la bûche glacée de Noël. Dans la nuit du 24 au 25 décembre, nous éteindrons le poêle pour que le père Noël puisse passer par la cheminée. Ton père et moi te réveillerons et les yeux encore plein de sommeil, tu descendras dans le salon, pour voir les paquets brillant de mille feux. Là, je suis certaine que tu sauteras de joie. Tu déballeras prestement tes cadeaux pour en découvrir le contenu avant de retourner te coucher en prenant soin de glisser tes nouveaux jeux à côté de toi. Au matin, en te réveillant, des restes de papier doré te rappelleront ce jour de fête.
Passé l’hiver, reviendra doucement le printemps avec la fonte des neiges, les avalanches, les éboulis. Le sol sera encore dur comme de la pierre et il faudra attendre deux mois environ avant de pouvoir travailler la terre. Puis le mois de mai s’installera, le temps de ton anniversaire, et la boucle sera bouclée. Chaque année se renouvelle avec son lot d’habitudes et de certitudes ponctuée d’autres découvertes. Avant que tu n’arrives, laisse-moi te raconter maintenant mon histoire.
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